Je me baigne avec mes deux amis marins, de l’eau jusqu’aux torses. La rive du chenal Est du Bassin semble à portée, dominée par sa dune de sable de cent mètres de haut. Le fort coefficient et la basse mer nous ont permis d’aller si loin vers le large que lorsque je me retourne, je sens que la renverse du courant nous emportera. Qui résisterait à mains nues face à l’océan montant ?
Le rêve s’arrête là, ayant porté sa métaphore. Le flux attire. Le flux menace. Le flux est vital et hors de contrôle. Faut-il renoncer à s’y exposer ? Apprendre à flotter entre passes et raz ? Sur quelle embarcation ?
Nos parents peuvent mourir. Nous sommes prêts, nos cinquantièmes approchant, à monter en première ligne. Nous l’attendons. Nos enfants se préparent à enfanter. Les rangs se rempliront : deuxième vague, troisième vague. De l’arrière nous passons au front peu à peu. L’horizon est une falaise. La fin de l’attraction, inévitable. Nous ne savons s’il s’agira de chute, d’élévation, de dislocation, de dispersion, de condensation. Nous le découvrirons peut-être, dans un autre état.
Le haut de la falaise est notre horizon. Il nous laisse libre de nous retourner, de fermer les yeux, de lever ou baisser le regard, de le tourner vers l’intérieur. L’horizon nous libère par sa limite. La fin nous ouvre aux commencements. Nous sommes le renouvellement des visages et des pensées. Des objets animalisés. Des villes artificielles. Dans cet immense petit royaume, dans cet epsilon de l’univers, nous aurons joué des formes, vibré par elles. Nous aurons crû, ferraillé, cru. Inconscients des tout, submergés des rien, révélés aux nuits du dix août par la traversée filante des étoiles.
Nous aurons été la forme sublime de ces détails disparus.
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