En symétrique inverse, les deux amis se font face,
séparés par la ligne imaginaire formée par l’invisible droite alignée sur deux expresso allongés posés sur une table
d’établi de ce café. La discussion s’écoule, aborde la fusion nucléaire
engendrée par du plasma chauffé à cent cinquante millions de degrés sous
l’effet d’aimants toriques. Un lien singulier passe du regard bleu gris à celui
vert de gris. Celui d’avoir côtoyé la même femme à des années de
distance ? De partager un signe astral commun ? De goûter la saveur
des mots (poèmes ou concepts) ? De quêter l’instase ? Tout aussi
singulier est ce qui les disjoint : peur de l’isolement contre angoisse de
l’étouffement, recherche de la tension physique contre sa fuite. Sans situation
fixe, entre eux, la ligne obscure du dessin. Une ligne de fuite telle une
perspective en peinture ou une pratique du réel. La fusion donc. L’espérance
d’une reconnaissance qui toucherait au noyau de son être. C’est ainsi qu’il
parlait des caresses que lui avaient prodiguées sa toute récente rencontre.
Cette hache de fourrure qui venait briser la mer gelée en lui. Ses paroles
l’avaient laissé comme transi, d’attente et de froid. Le manque s’inscrivait
dans ses gestes. Il évoquait le goût de l’échec développé par les humains, car quoi
de plus réconfortant que de voir inaboutir une histoire qui aurait pu prendre
des dimensions insensées ? Et ces dimensions, ses mots s’en faisaient
l’écho, quand il évoquait, sans rien dévoiler de particulier, leur première
nuit, faite d’une lente et longue introspection partagée. Les visions auraient
pu s’abattre : enclos d’amour, temple vivant, origine du monde, horizon
quantique. Mais le seuil des mots gagne parfois à rester infranchi, ce qu’ils
firent tout en déformant, découpant, hachant menue de leurs mains, chacun, la
mince fine et boisée spatule fournie avec leur café par la serveuse parée d’un
smoking noir à revers moiré d’un si délicat effet sous le battement de ses cils
étirés de rimmel. Dans quelques mois ils ne partageraient plus la même ville.
Il semblait prêt à sauter dans ce vide : vers elle. En très peu de temps,
elle avait su trouver le juste langage animal qui l’apaisait. Un espace
s’ouvrait, a dentro. Un espace
mouvant marqué d’une densité telle qu’une tête d’épingle y concentrait des
masses de puissance n. Face à lui, il était plaisant et plus encore touchant
d’entendre le cérémonial des pensées prononcées, de lire à fleur de sa peau la
charge électrique des instants passés, instants dont les hommes ne sauraient rien. C’était un beau récit porté par
tout son être et dans le même temps elliptique à l’extrême. Un récit procédant
d’un effleurement de suggestions et d’images. Et dans cette sorte de pénombre
récitante, on entrevoyait un coude, une phalange ; rien de plus, rien de
cerné, rien d’inerte ; une conjonction appelée à rester invisible aux yeux
du monde extérieur. Là était sa force, sa nécessité aussi. Le besoin de la
prémunir de toute encoche qui aurait laissé filer un filament rouge sur la peau
d’un des amants unis de neuf. Il l’écoutait et ne savait s’il fallait envier
cette fusion déclenchée. L’un allait entrer dans le feu ; l’autre avait
décidé de s’en tenir à l’écart depuis des années, tout en invoquant sa lumière,
en l’espérant en secret, en en rêvant par phases, mais tout cela demandait des
concessions, demandait de délaisser une solitude reposante par ses silences et
sa non contradiction. L’heure du soir approchait. Il fallait libérer les lieux
et clore, pour un temps, la discussion. Dans la rue, le chemin commun fut
parcouru en silence. L’essentiel avait été troqué, liberté pour fusion. L’hiver
débutait à peine. Tout restait à vivre à partir de ce point si ténu. Un œil de
lait dans la spirale d’un café partagé. Place aux étoiles