Je m’apprête à faire basculer le un monde. J’y pense dans le fond sonore du Citizen café, entre deux frappés métalliques du percolateur de la machine et les boucles d’ambiance diffusées par l’ordinateur. Les magazines m’aident à voir ma matière nouvelle : mouvement automatique, quantième perpétuel, réserve de marche, retour en vol, guillochage et anglage. Je circule différemment dans les allées d’un grand magasin. La trotteuse tourne en silence sous les vitrines en écho aux jambes des passantes. La fin de ce monde logique, je la vois belle et irréversible. Tel un paysage de temps. Dans lequel enfin elle m’aborderait. Avec sa part de moka d’Éthiopie le nouveau café de l’enseigne est devenu trop suave. Et je vois autant de non échos. Comment précipiter la fin de ce monde ancien ? Comment rester passif face à l’hypothèse d’un désir féminin qui viendrait me harponner ? J’ai l’image d’un double diffuseur inversé. Par l’un sort de plus en plus d’informations sensibles qui forment un pollen blanc ; par l’autre le parfum de vulve s’éloigne en un beau travelling à la musique soignée comme une lumière. Ainsi je me vois avancer tandis que la serveuse et son mari établissent les menus bagel du jour. Je ne sais qu’une chose de ce monde à venir. Je l’ai en bouche : je l’aspire comme une figue noire qui dégorge car cueillie trop tard. Les objets fondent à vue d’œil à mesure que je vois la panna se mêler à l’amazone noir de mon café. La saveur à venir de ce monde est faite d’une eau de décembre, d’un samedi d’avant Noël. Elle porte le contraste d’une ancienne piscine Art Déco cannelée mosaïquée tissée de nids en bois de plusieurs mètres de haut. Le bois fait oublier le goût de la figue et la musique du Mépris, clap de fin et de début. Le gout de fin de monde je le travaille à l’estacade de Batz, aux Herbes folles. Là et sur le sentier côtier interdit aux cycles mais exposé à ceux de la Manche. Le goût du très peu d’objets et du confort procuré par une flamme derrière une volière. J’aimerais traverser une fois le goût du désir. J’en connais le duvet et la mouillerie. J’en ignore la couleur. Un blanc satiné de noir. Le cou d’un cygne. La gigue d’un chevreuil sanglier. Je vais m’approcher du tunnel de mer sous un tapis de salicorne. Voilà le vacillement ; faire peu, ouvrir d’autant par des mots des colliers de sons et retirer ainsi les pensées depuis A. B. / 17. 13, Daumal ou Prevel. Là j’ai vu des cuisses. Dans le dénuement confiné de l’île séparée de Roscoff par une jambe de mer. Je vois des cuisses sans visage. Un ventre de mère sans plis. Je vois ne touche pas. Je fais trembler mon monde ancien d’expérience, d’entrecuisse. Je laisse rouler le cerceau de mes images mentales. L’idée de cette île dénudée m’emplit d’un fort coefficient. La main me guide dans et sur le blanc. Je descends vers elle mais ce n’est qu’une convention spatiale selon la position du regardeur. Je pourrais tout autant remonter la sente du goût jusqu’à toucher la feuille de noisetier. Le thermique de l’île m’aspire. J’en perds le sol et l’horizon. Tout se replie dans un coffret de vent. J’en reviens à la première expérience. Elle n’avait pas goût de châtaigne ou toucher de bogue. Je plisse la mémoire jusqu’à lui faire toucher sens. La peau est en vue.
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