Le mâchefer est la figure la plus éloignée que je puisse imaginer de toi. J’y pense lors d’un voyage en train, avec l’anachronisme futur de ce qui sera vu un jour comme un voyage en chariot, une fuite à dos d’âne. Quelle image serait la plus proche ? Celle d’un feu léger au couchant ? Des couleurs orangées posées par tes soins sur la grande toile blanche qui orne le séjour de ta maison ? La couleur n’est peut-être pas l’essentiel. Où se vit le sublime ? Dans le vol d’une libellule sans référence de temps ni de lieu ? Dans le pantographe qui attouche le câble électrique des voies ? Dans la nage qui caresse le repli pubien ?
Tant d’arbres ont passé par la vitre du train. C’est un défilement d’années. La nappe des jours est le voile sans poids du bambou blanc. Nous poserons nos pieds sur un sable sans couleur, dès cet été. Ce sable du Cabo, filmé voilà vingt ans, resté à l’ébauche de bobinos de seize millimètres que j’assemble pour leur donner formes, par photogrammes et par mots. La promesse d’une île est plus immatérielle que réelle. Ou plutôt, ta rencontre prend la forme d’une île. Un espace dans lequel voir tiendrait au goût, et toucher à l’oreille. La possibilité renouvelée d’atteindre tous les sens en simultané, tout en restant stable sur l’océan d’énergie – quand une jeune femme de vingt-deux ans s’est faite happée par la force verte et sans âme des rouleaux du Porge, ses poumons soudain tendus de sel.
Nous en sommes là, au prémice, au bonheur de cuire des pâtes en se touchant les mains. De rester nus au lit quand le début d’été répercute l’odeur de la pluie. De nous éloigner quelques jours, liés à la surface par quelques mots, et en nous par une évidence qui laisse le Sphinx sans voix. Nous en sommes là. Le chemin a tous les sens. Celui que j’ouvre a la force de l’ortie et des pierres lissées par les pas. La terre est le therme, avec sa brassée d’air juste, ce mouvement juste, du filet par la fenêtre entrouverte quand dehors un courant chaud fait front au froid. Que ta peau porte longtemps cela. Qu’elle soit le passage. Qu’elle soit ce qui est