Et ainsi l’on sinue, de vitrines ouvrant sur un vide fait d’étagères laissées désorganisées derrière l’écriteau Enokiazetai, de citadelles aux murs colossaux en vigie en surplomb de plaines tramées d’agrumes et d’oliviers que le vent vient claquer, dispersant l’odeur du chèvrefeuille absent, de terrasses occupées tout le jour jusqu’en soirée par ces hommes en palabres perpétuels, poussant sous des sons sifflés leurs pierres de Sisyphe. La pluie fait stagner un mince miroir d’eau sur le toit-terrasse de la chambre d’hôtel, en surplomb d’une baie au disegno presque trop idéal, avec son ilot rocheux juché d’une chapelle face à la plage centrale et sa grande île aux deux dômes symétriques qui à l’extrémité nord-ouest s’ouvre vers la baie suivante, libérant le chenal jusqu’alors masqué à la vue. Et ainsi sinue la mélancolie, non chassée par les vents. La matière solaire laisse une ombre bien vivante aux entrailles, celle du manque, du manque amoureux, sans que ce manque soit rattaché à une personne en particulier. Plus que l’idée de l’amour fait défaut le lien. Et l’on scrute les étoiles de mer qui avancent ingambes à pas lents. Les bernard-l’ermite se replient en laissant leurs deux yeucules en bord de coquillage. De nuit quand les moustiques imbibés ont tous été étoilés rouge sang au mur, quand les chiens errants ont cessé de répondre à leurs échos, reste le seuil entre éveil et sommeil, passé glorieux et demain déjeté. Toutes les formes sont encore vivantes derrière leurs vitrines : masques mortuaires à la feuille d’or, statues d’airain, figurines d’argile, tessons de mosaïque. Toutes les lumières ne se valent pas. Celle du matin est trop fumeuse dans son arrière-plan de montagnes bleutées, tandis que celle du soir est vive comme un jour naissant, relevant les contours avec la précision du plasma. C’est à cette lumière que nous devrions nous baigner, et seulement elle. Nous nous attablons aux restaurants, esseulés. Les sourires ne sont pas même résignés, faits d’une attente à la Godot. La fatigue s’est installée à nos yeux, perlée comme si des larmes s’étaient diluées en fond d’iris, avec cette teinte qui ressemble à la mer fendue à la lisière des hauts fonds, quand le vert se transforme en bleu opaque. Couleur de tristesse suspendue. Stridents, les oiseaux envahissent l’air toute la journée, relayés par les grillons le soir venu. Ainsi nous marchons au long du port où les pécheurs à quai ont sorti les frontales. La lueur du cigarillo se fixe dans l’axe du fanal placé en bout de digue. De volute à volupté, la pensée suit la vague sonore. Il ne s’agirait plus seulement de toucher une peau, mais d’être touché par elle. De passer d’Argolide en Arcadie, en grattant l’inscription Et in Arcadia ego jusqu’à ce qu’elle s’efface du mur qui la porte. Nous serons alors redevenus cette nuit traversée de poulpes, propulsés d’air et d’eau, aux filaments aériens, traces phosphorescentes sur fond noir.