Bain de lumière : révélateur dans lequel, par lequel, comme une colle au jaune d’œuf, la lumière déclinante matifie tout. Tel un fond d’or du trecento. Le lendemain c’est à cela qu’il faut renoncer, dans le mouvement pendulaire de ce qui nous rapproche et nous éloigne. Au soir, par les battants ouverts sur une terrasse, un carré de pelouse, la plage, la passe, l’isthme opposé, je me suis assis seul en silence pendant que l’une l’autre se recoiffaient se maquillaient, j’ai attendu la descente rapide du soleil rouge fin, disparu derrière la ligne haute des pins du Cap. Au soir devenu nuit je me suis éloigné du groupe – un couple était arrivé, portant beau, elle dans le contraste du noir de sa robe et de l’écru de ses cheveux de son visage, une légère aura de préraphaélite anglaise. La très courte vague qui tapait le sol ou la traîne de la voie lactée attiraient ma présence, demandaient rapprochement. Je suis venu voir dans la nuit sombre ce balancier des barques et des loupiotes qui remontent de l’océan profond.
La solitude était douce bien que légèrement entaillée par la projection inversée des rôles -n’être plus l’observateur mais l’acteur de l’entrée en scène, au bras de la ballerine, à sa bouche, à ses jambes, à ses pensées tressées pressées contre ma peau ou à distance, à la forme d’air particulière qui semble coudre d’or la distance quand les amants sont séparés, sur ce fond de jaune d’œuf dont on badigeonne l’intérieur des fûts de chêne pour assurer le vieillissement équilibré du vin. Ce n’était pas un sentiment de fatalité qui m’imprégnait, plutôt d’incompréhension. L’amour, le rencontrer plus que le vivre, avait semblé si aisé ces dernières années. Là j’étais à l’intérieur aussi vaste que la plage peignée de lumière et aussi vide qu’elle, comme assemblé de muons.
L’effet d’attraction existait, mais les lois de la physique amoureuse ont cette ironie, ce décalage vers l’ultra-violet, qui nous font attirer qui ne nous attire pas, qui nous rendent transparents à qui nous attire, et cette roue aux crochets vides tourne dans le temps. Cela n’enlevait rien à la beauté du soir, aux éclats de rire au restaurant ponctués de la chute des glands depuis les branches de deux chênes massifs qui surplombaient la toile de la terrasse. En léger retrait j’observais le mouvement des pensées des commensaux et la forme qu’ils y donnaient (gestes, expressions, paroles, regards). J’étais un dans l’élément, peut-être cette frontière imperméable entre les éléments « eau » et « huile » placés dans une éprouvette translucide – non miscibles, par nature.