En bord de Lifey, le même lieu, Burgh Quay (Dublin, Irlande) a marqué ma mémoire par deux éclats, le premier, celui d’une rupture, j’avais quinze ans, Cendrine avec sa coupe courte et sa peau mate, et au bout de quelques jours elle ne voulait plus m’embrasser, la fin d’un monde, le second, celui des pots de confiture qu’avec Frédéric, mon ami des années collège et lycée, nous avions dérobés dans un grand magasin pour les rapporter en cadeau à nos familles en France. Pleurs ambrés et marmelade de fruits aux tessons de verre. De l’amour ou de la confiture, quel est l’aliment le plus essentiel à nos passages terrestres ? À moins que le verre ne l’emporte. L’âge n’y fait rien, l’éclatement nous laisse avec nos bris à même la peau, incisé, suturé, conscient de vivre le moment de plus haute énergie en figure de la soupe primitive lâchée à tous les temps de l’espace, modelant un champ de forme fait de tristesse, d’abattement, d’orgueil, de sursaut, d’adolescence à tout âge.
Ce matin, vu à contre-jour, par mascaret, le fleuve a l’amplitude de la mer et la sensation est renforcée par le double plan successif que forme le miroir d’eau puis Garonne puis les arcades du pont Saint Pierre. Étrangeté d’une métropole dont les rues aplanies sont au soir plus désertes qu’un village et qui à certains angles de rues libère l’odeur du bois partant en fumée comme en campagne. J’aime cette équivoque d’atmosphère. La ville n’est pas une mais tantôt bruyante, tantôt dormante, dans les bois givrés de ses entrelacs. Ce matin la brume avait chapé le fleuve. Vers l’autre rive on distinguait la forme sauvage des roseaux avec à leur verticale le disque du soleil à contre-jour.
Commentaires