Ce soir, discours d’entre deux langues, où « la naissance marque le premier exil », où le passage de l’espagnol au français a créé l’étrangeté propice à la littérature, par un effet extranjerisante (étrangéisant), le tout exprimé par la voix juvénile, teintée d’accents occitans par moment comme si la filiation aux grands-pères émigrés en Argentine incorporait ce timbre particulier, de Silvia Baron Supervielle, dont le visage est empreint des traits caractéristiques des grands-mères béarnaises (soin du cheveu épais et de sa mise en plis, malice de la voix, douceur du regard, dureté du menton). De la tenue, de l’ingénuité, un charisme sans surcroît de puissance, l’écrivaine qui a quitté le castillan depuis cinquante ans conjugue toutes ces qualités. Cet éloignement de l’enfance la pousse au paradoxe de se traduire elle-même, dans ses poèmes en français réexportés vers le rio de la plata, par cargaison de sonorités transatlantiques. Ce décalage, en partie, s’obtient aussi, à défaut d’avoir migré de langue, par la poésie, présence troublée à un monde net.
La forme fantomatique des Chartrons se prête aux rêves flottants, éveillés, marchant. Y compris en journée il arrive d’y remonter des centaines de mètres sans croiser forme en mouvement et soudain sur le côté c’est l’établi d’un menuisier qui apparaît, à la façon d’une bottegha romana. L’esprit des lieux est encore à l’artisanal, au discret, au retrait, protégé par sa configuration en damier.
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