Posée en extérieur, sur la feutrine de la nuit, la lampe est sans vocation, elle tire sur sa flammèche, produisant un halo de chaleur vacillante. La lampe est sans but dans la chaleur vacante. Elle fait converger les virevoltes par défaut. Le seul intérêt de la lampe est de provoquer un effet miroir quand, par une nuit imprévisible, un autre feu sera perçu, entrera dans le champ, se dévoilera. Deux feux de jour. Rien n’est moins sûr, la probabilité indéfinissable. La beauté du geste est de croire l’opération possible. La pensée de ce moment est peut-être plus accomplie que sa réalité hypothétique. La lampe ne demande pas : elle accomplit sa fonction. Elle n’éclaire pas, elle produit, elle est le produit de l’air, de l’étincelle, de l’huile, de la mèche, du tungstène. Elle ne témoigne pas, elle porte l’ombre sur les choses. Elle tient sa durée de vie et part dans le silence ascendant d’une fumée grise. La plus belle des lampes est la prochaine puisque la lumière sans cesse nous file entre les yeux, comme un sable tombant de phalanges serrées incapables de retenir le sans prise, le sans fond.
A deux mille trois cents mètres, le lac est sans nageur, entier livré à sa couleur profonde. Il m’a fallu cinq minutes pour acclimater mon corps à cette température, mon corps chauffé par le pierrier du pic d’Ariel, cinq cents mètres plus haut, par les mille cinq cents mètres de dénivelé de cette marche commencée cinq heures plus tôt avec mon père. Au sommet, nous avons pris le temps de pique-niquer, dans ce trois cents soixante degrés à la lisière Béarn / Aragon. La baignade, tout mon corps la souhaitait. Je ne sais quelle est la part de bravade et de régénération corporelle et spirituelle, comme si cette limite avait un sens. L’eau me porte depuis mon prénom. Je lui restitue un extrait, en retour, un jardin d’été, quelques lignes. Cette marche m’a tétanisé les cuisses par la rudesse de sa descente, deux heures d’un trait sans faux plat où laisser les muscles se décontracter. Dès le lendemain les rouleaux atlantiques ont pris le relais, dans une eau de teinte égale au lac, d’une température plus douce, d’une foule aussi, quand là-haut j’étais seul à nager, entre brebis et rapaces, passage d’isards furtifs, randonneurs assoiffés. Mon père me laisse prendre le devant. L’arthrose verrouille ses genoux. Je me retrouve en première ligne sur la crête. Les jambes crispées.
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