Rien
de tragique dans ces visages de plâtre creusés au canif pour devenir de
minuscules bronzes ou de grandes formes aux yeux excavés, les bras souvent
assimilés au tronc, la bouche entrouverte, la chevelure laissée hors de la
terre, le nez étiré du masque. Les couleurs fauves des débuts, de
l’autoportrait, ont disparu. La remontée vers la racine n’est ni abstraite ni
désincarnée. Dense, sans concession, condensée, précipitée. C’est être debout
en paraissant de boue sous les replis qui conservent l’essentiel de
l’humain : être droit, faire face, faire un pas au risque de chavirer (les
hommes), faire face sans aucun mouvement (les femmes) jusqu’à devenir cuillère
ou tête presque plate totalement lisse, presque biseau de hache. Jusqu’à ce
qu’un chariot vienne emmener le temps dans sa roue et présente sur un plateau
une idole anonyme. Jusqu’à ce que les modèles du peintre disparaissent dans
l’arrière-plan, cernés à coups de traits noirs ou gris fantomatiques,
l’obsession tournant autour des yeux, voir, chercher à voir la réalité, ce
qu’elle produit en nous, ce que nous en conservons comme trace dans une œuvre,
aboutie ou non, le processus comptant plus que la fin. Ce qu’il reste de nous
quand on est passé par le plein et le vide, la structure et l’enlèvement.
Les
formes d’Alberto Giacometti, les poèmes d’Antoine Emaz, seraient comme des
lieux communs aux humains, des pays de connaissance intérieure, des stations
sur un chemin de droit.