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"Tout soupçon de rêve
glissera au loin vers l'oubli,
mais pas avant que les pierres
ne se retournent dans les pierriers.
Un coeur sans amour
verra le jour un jour,
mais pas avant que les rivières
ne coulent vers l'amont.
Une main qui n'a pas besoin
d'autres mains
est peu probable.
Nous ne la verrons jamais."
Poème du norvégien Tarjei Vesaas, extrait du recueil "Etre dans ce qui s'en va", paru aux éditions Rafael de Surtis.
Un vert exubérant se renforce encore dans le sud de
l’ancienne île bourbon, entre Mare à citron, Ravine des cabris, Puits aux
Anglais, Anse des cascades, Manapany, Mare à poule d’eau, Bras Panon, Takamaka,
Ilet vidot. Au lever du jour le lagon est plat comme un miroir. La veille dans
une église soixante choristes, trois solistes et un orchestre de chambre
ondulaient d’un rouge corail. L’analogie est le tout. Si l’on entre en elle par
le cœur on atteint l’intérieur des sons et du sens. Au sud les fleurs parsèment
le vert. La lave se frotte aux vagues et résiste comme un basalte. Cette crique
cabossée au vent se présente comme aux temps des premiers explorateurs. Un
concert vu comme un paysage premier, une anse entendue comme un chœur
lyrique : quelle différence dans l’harmonie des planètes ? La
respiration du cœur ne se désire ni ne s’apprend, elle se révèle, incidemment.
Sur cette île il faillit mourir à 26 ans, sous
l’effet de la pénicilline qui ravinait sa peau sous laquelle des staphylocoques
dorés avaient proliféré. Peut-être est-ce la raison qui lui fit sentir la
nouveauté des instants ici, leur intensité. « Après une semaine passée entre la vie et la mort au services des grands
brûlés de l’hôpital de Saint-Denis, ce n’est pas au temps que j’ai pensé en
sortant de ma chambre stérile, c’est à la première bouffée d’air qui entra dans
mes poumons. Elle avait un goût inédit et délicieux : celui de la vie
retrouvée ».
Sous la nuit multiple (australe, créole, bord d’océan, indienne, réunionnaise), un homme s’allonge dos au sable et, après quelques minutes passées à scruter le ciel, voit les étoiles comme des coraux sombres posés sur un sable noir. Très peu de teintes autres qu’artificielles – ici le soir « tombe » avant sept heures. Au jardin d’Eden, dans l’après-midi, le vert entourait la vue, du sol à la cime des palmiers royaux des Caraïbes. Un jardin zen dessinait le passage des pierres de brutes à polies. Un ordonnancement de rouges et blanches allant à l’unité. Ici la nuit a la température de l’eau du lagon, vibre de grillons tandis que les lézards vivent à la verticale des maisons. À sept heures du matin l’air est à 23 degrés et les premiers coureurs des bords du lagon croisent les cantonniers de l’Hermitage. Ici, sur cette terre volcanique qui monte de 1 à 3 000 mètres d’altitude en quelques battements de paille en queue. Sur cette terre océanique des dauphins viennent s’éventer en surface et replongent disciplinés en groupe vers ce qui nous échappe : un fond vert de coraux sombres, un sable noir, la nuit australe.
Un poème d' Alexis Pelletier, récemment paru dans la revue Thauma.
* * * * *
Est-il possible d’écrire ou d’écouter
en faisant se taire en nous
dans quelle part de nous au juste
les références
et combien de musiques ou de mots
dans celles-ci
Un son appelle un mot ou l’inverse
parfois comme une glissade sans fin
du monde ou hors de lui
qu’est-ce que ça veut dire
avec en outre des impressions
des souvenirs de déjà vus ou
déjà entendus
Tu sais bien qu’en musique aussi
ce n’est pas le même monde qui
surgit à nous quand les yeux se ferment ou s’ouvrent
ni le même corps et que parfois
des interrogations te traversent
quel son plus nu par exemple
que le mot nu lui-même
Tu dois alors définir l’espace
Et le soleil comme désir
[...]
Pour lire la suite : Téléchargement La joie
Les métamorphoses : tant de beauté inventive concentrée sur le plateau. Les danseurs ont le sourire aux lèvres bien avant les vivats du public. Le dos des hommes est noueux comme un olivier. Des jeux de forme à tout moment, par le vêtement inspiré de la vie animale (araignée, ombilic), par les supports géométriques qui servent de cage, de damier, d’entonnoir à danseuse. Comment s’organise un tel travail solitaire et collectif ? Profond mystère pour les profanes.
Les métamorphoses : de la vie bondissante, heureuse de s’inventer et de chercher de nouvelles ramifications. De la beauté pleine de vitalité qui donnerait à pleurer tant elle touche. J’ai la sensation de retrouver la même hypnose qu’il y a quinze ans, quand je me frottais par la vue et le corps distant à un ballet d’Alvin Nikolais. Ce si rare moment où l’intellect s’efface. Non plus regardeur surplombant mais associé à la scène, sentant les énergies en mouvement des danseurs. Le registre passe du 1 au 10, duos, trios, tandems masculins / féminins. Ces lignes si compactées par des années d’entraînement. La danse porte tout cela. La mémoire du corps et des formes. La générosité de se vivre sur le moment, laissant en nous la trace profonde de la rencontre entre actif et passif. J’aime la danse pour tout cela, au point de me rêver danseur dans une prochaine vie.
D’après une chorégraphie du ballet de Marseille, conçue par Frédéric Flamand.
Cette question est née de l'écoute des poètes passés au mois de mars 2009 à la Maison de la poésie de Haute-Normandie. Voici la contribution de Nathalie Riera, poètesse et revuiste.
* * * * *
Travail de tissage, dans lequel se jouent, en simultané, les apparitions, disparitions, répétitions. Entrecroisement des temps, l’actuel comme l’ancien, qui nous renvoient leurs rayons. Route, rivière. Où l’or peut encore se fondre. Or excite. Or des douceurs. Donner chair à la chaleur. Cheminer, défiler, précéder. Chair du rayonnement, du réel qui ne cesse d’être dévoilement.
[...]
Pour lire la suite : Téléchargement Nathalie Riera POESIE pourquoi comment
En
fermant les yeux la musique tombe par strates épaisses, image d’images absentes.
Les roulements de timbres enlèvent la nécessité de créer puisque la vie est déjà
présente.
Les yeux forclos en paix. Les yeux fermés touchent l’osselet où plus rien n’est à faire. 00 :00. Le fixant se laisse aller à la pièce bien enfoncé dans son fauteuil. 00 :00, sur un autre écran. Il tente quand même l’écriture, pour bien se dire que l’essentiel ce soir n’était pas là, mais dans la sensation atteinte : être enfin. Il en sourit.
Poètesse et revuiste, Nathalie Riera a rassemblé dans quatre plaquettes des textes sur le thème : "Tu ne répareras pas".
Deux de mes poèmes et photographies sont inclus dans le volume II, visible en ligne ou en téléchargement : Téléchargement TU NE REPARES PAS_volume2 (2).
Pour lire le volume 1 en ligne.
Dans Poezibao, avril 2009 :
Eric Sénécal
chant de la pierre tombale
Les éditions d’Aldébaran,
2009
18 €
Cette question est née de l'écoute des poètes passés au mois de mars 2009 à la Maison de la poésie de Haute-Normandie. Voici la contribution d'Anael Chadli, poète et plasticien.
Vertige horizontal
Des questions pour
faire surface, - pas pour creuser -, mais pour être davantage, plus
aisément peut-être, en surface.
Rien en nous-mêmes qui
ne creuse davantage, avec cette sorte d’évidence, que les pieds dans le sable,
rugueux et tiède en surface, humide et froid à mesure, qui ne creuse davantage
que la disponibilité de la surface, et moi, la surface. Ici et maintenant,
martelé, mais ici et maintenant en rapport à pourquoi et comment. Ici,
pourquoi, maintenant comment ?
Si possible, silence,
possible. Empêché par interventions, interventions par adhérence, avec ce sens
qui tourne court, la langue, une habitude à se mettre le monde à dos, dans la
poche, poche pleine de mots, qui halète, allaitement continu de la langue à
sucer ce qui vient, à s’accaparer, vorace et goulue. Pensée langue gloutonne.
Une brise de pensée,
sèche et épicée, l’étonnement de la peau au contact de l’air. Tout est là, je
répète, tout est là. M’éclipse à mesure, éclipse un autre rapport sans commune
mesure. Là.
Présence de la peau,
du grain de la peau, de son odeur, de la trace singulière que fais ton visage
dans ce désert, une habitation.
Visages nomades, au
loin, affleure une mer de sel. Aiguise la soif de sel au bord de l’oasis.
le sable, empreint des
songes que font nos gestes, entre deux marées jointes par nos murmures, le vent
proche, une épave,
habitacle que nous avions cru bon tenir, - tient malgré nous –
s’éloigne à mesure que l’immobilité grandit
Un vol de pensée, au
ras de l’eau, fusées insensées
(cet oiseau que je
suis du regard, fasciné, rasant l’eau à vive allure, sans jamais se mouiller)
La mer en songe,
réalisée.
je réponds des pierres
d’une cité antique, englouties et ramenées à la mémoire par des pelles
mécaniques, puis disposées au bord de l’eau - la mer, une flaque aussi
bien – et méticuleusement numérotées.
Je le crois sur
parole.
J’appelle,
Je réponds de
l’asphalte, de la terre, du métal rouillé, acide, à mon corps, à ma langue,
j’appelle à me taire à mesure que les mots affluent, à mesure que mon sang
cogne à toute peau,
J’appelle la grâce
infinie des adieux partagés, foudroyés et rendus en cet instant
que j’appelle à la
surface, notre présence
que j’appelle à faire
surface et rien d’autre, toute
profondeur
"parle-moi amour
de quelque chose
de la frustration de l'enfant
qui lance un cerf-volant
sans vent
de la Loi
qui n'existe pas
parce que si l'Univers la possédait
il ne s'étendrait pas
parle-moi de tout
du petit caillot de sel
qui est mon unique compagnon
et confident
quand plus rien n'existe
entre nous deux"
Recueil paru en 2005 aux éditions Henry.
Prétendant
en poésie, je circule du Have à Luneray, en train ou en voiture, dans des
collèges de ville ou de campagne, en classe de troisième ou de sixième,
accompagné de magnolias et d’arbustes à fleurs blanches posées sur les talus
des routes.
Aux
élèves : « Un poème est
irréductible, il a le sens que vous lui donnez selon votre humeur, votre âge,
vos pensées, vos envies, vos goûts. Un poème ne se comprend pas forcément, peu
importe, il doit se ressentir avant tout. On peut être poète sans écrire. On
peut écrire sans être poète. L’image naît par les mots ou la photographie, cela
dépend de mon envie du jour. » Des questions appellent des réponses inattendues.
« - Combien de temps il vous faut pour
créer un poème ?
- Toute
une vie pour le laisser naître, 5 minutes pour l’écrire. »
« - Pourquoi vos poèmes parfois ne font qu’une
ligne ?
- Parce
que la poésie cherche à condenser les émotions. On dit alors que c’est un aphorisme. Tiens, je
vais vous en donner un qui vous servira à draguer de façon infaillible : ‘Ton absence de visage fut ma seule obscurité’.
- C’est de qui monsieur ?
- D’un
poète nommé Jacques Dupin. »
(Et
les garçons, concentrés, de mémoriser la phrase).
« - Lequel de vos poèmes préférez-vous ?
- Euh,
le dernier, ou le prochain ? Un poète n’est jamais satisfait, il espère
toujours atteindre le poème idéal, une prochaine fois.
- Vous connaissez tous vos poèmes
par cœur ?
- Non,
aucun, je ne me relis pas et préfère découvrir ceux des autres. »
Je
repars sous le blanc d’un soleil vif. Hier soir, un ami nous parlait d’un
proche qui, réchappé d’un cancer, redécouvrait la vie avec l’enthousiasme d’un enfant.
Tout lui était merveilleux. Je pense à son exemple. Semons, ne cessons jamais
de semer, que chacune de nos inspirations reste blanche de lin et fraîche de
notre première plongée.
2 avril 2009
La lumière
sur la terre à la sortie de la ville
un feu de paille proche d'un stupa
la terre beige et blanche
les jarres sous le ciel sec
la route goudronnée
dans la plaine de rizières rousses
les plantations dans les collines abreuvées de
lumière