Nathalie Riera Tisseuse de mots et d'images, cette poétesse et revuiste aime à créer des liens entre ces deux pôles, depuis son sud varois.
Jacky Chriqui L'univers intime et poignant d'un photographe, écrivain, éditeur, masseur ayurvédique et ex-enseignant aux Beaux-Arts de Paris.
Eric Sénécal A la tête des éditions Clarisse ou de la Maison de la poésie de Haute-Normandie, Eric est le (presque) inusable porteur de la parole, directe, poétique, tout en énergie et sans afféterie.
Emmanuel Bacquet Emmanuel manie les idées commes les images, avec la grâce de l'artiste électrisé par l'aiguillon du doute et de la quête
Christophe Brunski Christophe est une énigme, une apparition de photographe poète capable de faire jaillir les mots images en anglais, français et suédois... un météore
Anael Chadli Exigence, profondeur, sens, des mots et une pensée qui témoignent de tout cela, poétiquement.
Imaginez-vous
au cinéma, par un dimanche de vent froid pluvieux, face à Two lovers. Dans ce polar des sentiments, Joaquin Phoenix a la
démarche gauche d’adolescent, la même chambre en pagaille, le bégaiement quand
se pressent en bouche les mots d’amours, la joie ravie, les émois qui font se
jeter en pleurs sur son lit, en pleurs de joie ou de détresse puisqu’à cet âge,
ce qui compte, c’est l’intensité, n’est-ce-pas ? Imaginez-vous en
impétrant épicurien, ayant creusé des tombeaux aux passions, et surprenez-vous
à sourire de vous identifier à ce héros décalé, que vous étiez il y a quelques
temps encore. Vous vous dites : comment peut-on aimer à ce point
l’exaltation ? La sensation est celle d’une vie étrangère. D’une
exo-planète. Et pourtant, c’était soi, c’était nous. Ce le sera de nouveau un
jour. Peut-être que le détachement affiché devant l’écran n’est qu’un masque,
que l’emportement de l’amour vous manque sans que vous osiez le reconnaître. Si
l’emportement se présentait sous les traits de Vinessa Shaw, vous quitteriez le
film, et retourneriez à la passion, sans hésiter une seconde, identique à
Joaquin Phoenix qui, faute de pouvoir offrir un solitaire à la fuyante, celle
qu’il aimait par déraison, le donnera à celle qui reste, par raison.
Un mot
une photo une pierre. Des images une pierre des textes. Des envies des désirs
mais l’idée même de fantasme est rejeté par Hortense, du 23 janvier 1973.
Des mains jointes sous le noir passant de mains en mains reliées à des visages
encore cachés. Des décors une chaîne des voix. Un état qui peut-être tourne à
vide dans sa plénitude. Une construction avec doutes. De l’esprit, l’ouverture.
Du temps. L’idée récurrente que laisser faire est la façon de faire. De l’idée,
la pratique. Tampa sa baie la digue ou le pont vers Saint Petersburg. Des îlots
boisés des pélicans. Lors de la baignade soudain un vol peut raser la tête
émergée. Comme une marque durable dans l’air. Est-ce une image ?
Je me
suis déplacé vers une marge sans horaires fixes. Si j’écris : travail,
voyages, quel sens y donnez-vous ? Ce passage d’un âge à un autre m’a
déplacé, bien plus que je ne l’aurais imaginé. Je ne m’étais pas refusé à
l’imaginer. Simplement, l’idée ne m’en était pas venue. Mes enfants me
rattachent à la réalité sociale connue de nous tous qui l’alimentons souvent à
notre esprit défendant. Un an et demi que j’évolue dans des espaces
intermédiaires, plus que jamais socialisé mais à contretemps, parfois à couvert.
Je ne prétends pas à ce que cet obscur témoignage ait valeur de vérité. Il dit.
Il naît aussi de lui-même, du plaisir d’être seul et entouré, dans un café de
Rouen, par un après-midi de semaine, avec ce qu’il faut de gris, clair au ciel
et de feuilles à terre pour sentir l’hiver monter en soi. La personne entrant
dans un rituel perd le partage possible de cette expérience en-dehors de son
cercle d’adoption. C’est une limite. C’est un fait. Le mouvement d’une plaque
sur une autre entraîne une friction lente ou un tremblement des terres. C’est
un fait. Toute personne cherchant à laisser flotter sa masse plongée dans la
vie est traversée de sursauts. Elle ne perd pied ni totalement ni soudainement,
conservant la mémoire des réflexes. C’est un fait. J’apprends à flotter.
L’esprit senti tendu comme un muscle va-t-il au-delà des symboles ? Un
muscle, toutes ses fibres en mouvement, dans la forme pure d’un geste orienté,
mais sans pensée.
Les
adolescents glissent sur leurs figures de skateurs, au ralenti, comme dans le
film qu’il est. Une partie du monde est à la révolte, quand la misère n’a pas
totalement lavé la conscience. Je me vis heureux, seul, et l’écris avec une
certaine gêne – l’écrivain, plus encore le poète, a généralement moins de
scrupules, à (f)relater son mal-être, c’est son salaire, son comburant. Cette
belle jeune femme en terrasse entourée d’amis je l’ai vue deux heures plus tôt
marchant parmi les travées du marché, cabas en main. Le café qui m’est servi
est dégueulasse (Qu’est-ce que c’est,
dégueulasse ? demandait Jean Seberg, descendant les Champs). Il sent le
dimanche après-midi, fin de service. De belles femmes, j’en vois plusieurs fois
par jour en ville, quand je fais ma ronde. Les dameuses de plastiques et de
déchets végétaux ont commencé leur noria sur le parvis du Clos Saint Marc. Bientôt
propre et net. En bouche je mets un cigarillo aromatisé à la vanille, rapporté
de Key West, la Dominicaine de Floride. Six jours sans rapport sexuel autre que
solitaire. J’ai pensé à Marc, je l’aurais bien vu, mais il me dit être à
Bordeaux, avec son frère, à la lumière. Fin du cigarillo, reprise de
l’écriture. Du jeune couple qui entre dans le regard l’un de l’autre je ne vois
qu’elle au long visage et aux cheveux noirs où perce le rouge vernis des
ongles. Que fait-on une fois parvenu à la joie ? Est-ce un état auquel on
s’accroche à tout prix ? Un clochard dort assis contre une banque, malgré
la roue bruyante des dameuses et l’angle du soleil d’automne. Bientôt celui-ci
passera sous la ligne dessinée par le toit de la halle, me montrant son
contre-jour. Ce matin je feuilletais des livres quasi centenaires aux mauvais
papiers avec leurs noms inconnus sur l’étal des bouquinistes. Eux
restent encore exposés, quand la totalité de la production de l’époque, ses
reliquats, achèvent de se décomposer dans des caves ou à la Bibliothèque
nationale, au parfait taux d’hygrométrie. Les couvertures sont alignées en un
fac-similé de cimetière de papier. Des tombes. On dit bien tombé dans l’oubli
ou tomber amoureux. Amoureux je ne suis plus. L’amante décale une
nouvelle fois notre rendez-vous. Cela me fait un peu froid, sur le moment, sans
plus. J’en suis encore à ce stade premier de la joie où elle se vit seul. Me
voilà le dernier en terrasse. Je lève l’encre.
Avant
de partir dans un sous-bois de ce campus des hauts de Rouen stylisé par un
éclairage urbain, par la pluie et la brume de novembre, la chorégraphe Nadine
Beaulieu parle à l’assistance du soir, de la qualité dynamique d’un mouvement
effectué au ralenti ou en accéléré, l’inspiration provenant d’une nouvelle de Jorge
Luis Borges qui traiterait du
dernier prêtre aztèque et d’un jaguar partageant une cellule sphérique, le
prêtre tâchant d’interpréter le message divin en déchiffrant la combinatoire
tachetée du fauve, y parvenant mais se refusant in fine à dévoiler le secret du monde puisque, selon Nadine
Beaulieu, l’important est l’inabouti qui prend la forme d’articulations entre
les muscles, les états du corps, la danseuse Marie Doiret et la flutiste Miu,
cette circulation
« Que vous manque-t-il aujourd’hui pour être
heureux ? ».