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South Beach, Miami. La terre est encore là. Parfois, l’océan rejette des
pieds mouillés de clandestins latinos, sur ces plages si ventées ce soir. L’un
d’entre eux a écrit une chanson, tirée de sa vie réelle. Lorsqu’il fit le
voyage en barque, il vit ses compagnons d’infortune attaqués par des requins
rendus fous agressifs. Dans leur esquif, se tenait une femme qui avait ses règles.
Sanguine d’une ronde de mort aquatique.
Nous
partons plein sud, vers le chapelet des Key Islands. 42 ponts jusqu’à
l’extravagante Key West où nous arrivons, by
chance, en plein carnaval débridé et dénudé. La Fantasy Fest sent les brochettes de poulet grillés, exhibe seins et
culs peints, des femmes d’un mètre quatre-vingt cinq à talons compensés, des
Harleux cloutés à bandana. Les flashs habillent la mascarade, nocturne et bon
enfant. Les corps trop nourris se déplacent entre de créoles maisons. Quelques
enfants égarés avec leurs parents regardent ce spectacle d’adultes à ciel ouvert
tandis que d’hargneux prêcheurs tendent des pancartes aux passants :
« Demandez-nous en quoi vous méritez
l’enfer ».
Ici,
nous avons aimé la vie, sa baignade dans une eau trouble et peu saline, ses
tartes au citron, ses climatisation aussi insupportables que la touffeur
extérieure. Go (Key) West, boy.
Article écrit par le poète et écrivain Roland Nadaus sur l'imagier tetraktys., publié dans la revue de la Maison de la poésie de Saint Quentin en Yvelines dans son numéro d'octobre 2008
.
Ici & là, revue éditée par la Maison de la poésie de Saint Quentin en Yvelines, publie des extraits du poème inédit Buster Keaton, écrit par Eric Sénécal, et mentionne le livre Chant de la pierre tombale, du même auteur, à paraître aux éditions d'Aldébaran au printemps 2009.
C’est une frontière sous une lumière grise filtrée quand la même langue (Euskal herria) se parlait sur les deux versants des Pyrénées. Le train à grande vitesse fabrique une géographie fondée sur le temps. Je viens d’une noble lignée : la terre. En une génération nous sommes passés de la culture à la contemplation des paysages, pour finir travaillés par la terre, l’ensemençant de corps marqués de caresses devenus glaise cendrée. Tous nos prédécesseurs ont eu leur heure de gloire, ce moment où l’on sent que le corps de l’autre nous échoit, par choix. C’est cette mémoire de la chair heureuse qu’il nous faudrait emporter. Qu’à l’heure éventuelle de la reprise du souffle, nous ayons gardé, dans ces poussières, la vibration du désir.
Étant donnés :
1/ L’infinie variété de formes prises par le corps féminin envisagé de la tête aux pieds ;
2/ L’impossible détermination de l’échantillon statistique fiable permettant à l’homme de se dire : « Cette fois, j’ai fait le tour de la question, c’est sûr. » ;
3/ L’incapacité du sexe à produire de la connaissance ;
4/ Sa capacité en tant qu’homme de séduction à « mettre toutes les femmes à ses pieds » (l’assertion provenait de l’une d’entre elles et pas la moindre) de par… sa dextérité mentale et verbale et un certain charisme acquis lors d’un stage d’une journée consacré à ce thème ?
Étant donnés ces quatre axiomes, Elphège s’était résolu, une fois pour toutes, à entrer dans les ordres et se présenta derechef à la porte du plus isolé d’entre eux, sous la forme de l’abbaye de Saint Honorat, seul bâti d’un ilot vigneux caché du rivage des vanités cannoises par une ile supérieure en taille : Sainte Marguerite.
Là, à sa requête, il lui fut répondu que le papillonisme et la fuite d’icelui ne sauraient en aucun cas motiver une vocation monastique authentique et que, partant, il lui faudrait s’en retourner sur le continent dès le lendemain mais que pour ce soir, le service des navettes s’étant normalement achevé à quinze heures trente (nous sommes en Méditerranée tout de même), et comme l’exigeait la règle bénédictine, gîte et couvert lui seraient fournis, à la condition sine qua non de participer aux tâches ménagères et de se lever cette nuit pour entonner en chœur avec les moines et autres visiteurs quelques répons, qu’il chantât juste ou faux peu importait, le cœur y serait, du moins était-ce le vœu formé par le père supérieur de l’abbaye qui lui tint ce discours sans lui laisser le temps d’en placer une.
Débouté, Elphège le fut de même quelques temps plus tard par la sérénissime abbaye normande du Bec-Hellouin qui s’enorgueillit de posséder dans le lignage de ses pères supérieurs les premiers évêques de l’Angleterre fraichement conquise par le duc Guillaume au XI° siècle de notre ère chrétienne, comme le rappelle la plaque minérale apposée au flanc d’une tour isolée dans le parc de l’abbaye et dont l’accès à la plate-forme ouvrant sur un panorama à 360° degrés sur des environs boisés et vallonnés est forclos depuis des années.
Nonobstant ces deux échecs qui eurent raison de son engagement de cénobite, Elphège poursuivit son chemin vers la lumière en devenant ermite des villes, puisque des champs il était renvoyé. Afin de chasser définitivement de lui le démon de midi, il s’astreint à ne lire que les Pensées de Pascal et La salle de bain de Toussaint dans son logis abbatial réduit à sa seule personne – de fait, il avait toujours voix au chapitre.
Sentant sa fin proche suite à cet assèchement social et gastrique – il jeunait tant que cela prenait tournure de grève de la faim -, il rêva d’obsèques où ses conquêtes féminines passées, réunies pour la funeste occasion, auraient découvert la sorte de société secrète qu’elles formaient à leur corps défendant, chacune d’entre elles se demandant à propos de toutes les autres : « Qu’avait-t-il bien pu leur trouver ? Et où allait-t-il les chercher, avec de telles allures sorties de nulle part ? Moi qui l’avais cru homme de goût… de chiottes oui ! ».
Devenu incroyant par sa fréquentation récurrente de ses deux saintes lectures déjà mentionnées, privé ainsi de la vie éternelle de son esprit, lorsque celui-ci sortit de son corps, lui fut épargné le chagrin de voir affluer à ses obsèques un cortège réduit à sa mère (une mère reste bien la femme de toute une vie, plus encore lorsqu’on la perd), une tante acariâtre plus vue depuis des années et une amie qui avait toujours opposé un veto ferme à se laisser honorée par ses soins plus la petite nièce qu’elle gardait ce jour-là. Justice était rendue.
Combien de conversations marquent une vie ? Ne les reconnaît-on pas aux particules en suspension qu’elles remuent en nous ? L’éclaircie et la décantation laissent apparaître le fond du verre ou de la rivière. Entre l’œil et la matière, l’eau s’est fait oublier. Parfois, la suspension persiste, d’un jour à une vie.
Ce matin, je fus enseigné : deux personnes ne forment pas d’effet miroir. On trouve un écho à soi, pas un reflet de soi. Ce matin, j’ai osé (me) dire que j’aimais le début de l’amour et lui seul, que j’avais perdu la croyance durable. Pour lui figurer cette perte, j’ai pris des images : j’avais cherché à arracher cette racine, si profonde qu’elle subsistait encore, même niée.
J’en retirais de la tristesse, elle, du réconfort, à mieux me connaître, à passer de ma « richesse en paravent » à mes « appartements » et à leurs failles, sa vision étant celle d’un être ville.
Les solitaires s’installent sur les banquettes à l’intérieur de ce café de la place de Clichy, à Paris. En terrasse vont les appariés : couples ou amis. L’avant-soir est là, avec ses lumières au maquillage outrancier. J’ai passé l’après-midi à écouter mon plus ancien ami. Dix-sept ans que nous nous découvrons, depuis notre rencontre à l’université.
Paris a-t-elle toujours eu des loufiats en tablier et des serveuses qui en apportant un thé Earl Grey à votre voisin vous lancent ce que vous interprétez comme une œillade ?
La ville juxtapose des psychotiques, clochards, midinettes, alcooliques, collégiens, voyageurs, gens du monde, visages fermés par les rues qui s’ouvrent en terrasse, là où se filtrent les présences. Avec mon ami photographe nous parlons des poseurs du monde artistique et culturel, des uniformes qui nous signent dès que nous sortons de chez nous. Il a cette pensée si belle, en spires, qui lui fait dire qu’il pourrait passer sa vie entière à explorer le même corps par amour, ou que les mourants emportent de nous une part de nos vies, sous la forme d’une mémoire accumulée qui se dissipe.
L’odeur des cigarettes traverse les baies du bar ouvertes sur la statue placée au centre de la place de Clichy dont, en dix-sept ans de passages, je n’ai jamais eu la curiosité de m’informer sur la signification de l’allégorie fondue à la cire perdue. Tout à l’heure, à la librairie de Paris, j’ai vécu l’érotique rapprochement entre l’empilement de pensées et le passage d’un corps de femme faisant exagérément appel à la vision chasseresse de l’homme.
Un des garçons du bar semble d’autant plus cubain qu’au moment de son passage à proximité de ma table la musique ambiante diffuse une rumba. Nouveau sourire de la serveuse depuis l’extérieur, le temps d’une pose avec cigarette alternant de sa main à sa bouche.
Son cours de photographie dans un centre d’art à Aubervilliers apporte du réconfort à mon ami, sauvagement quitté deux ans auparavant par une comédienne qui, un soir de dîner amoureux, le tua en quelques secondes et par quelques mots, partant rejoindre son nouvel amant, metteur en scène plus âgé que lui, par un si affligeant degré zéro de la symbolisation. Ce cours du soir lui révéla une étudiante en école de commerce qui l’évoquait dans son carnet de voyage en Inde, quelques semaines avant de se dévoiler à lui. Aujourd’hui se dessine la figure ivoirine d’une belle femme de son âge, fin de trentaine.
Que sait-on jamais de qui surgit ? Avais-je été capable de voir dans la femme-enfant rencontrée à Strasbourg l’adulte et l’artiste aux pensées à si haute fréquence ? Non. J’en étais resté au stade de l’image : une fraiche B. B. doll.
Suis capable d’écrire poétique, c’est-à-dire simple et pur ? Non. Aimé-je ma vie de dilettante ? Oui.
La vérité serait ici et maintenant. Nous faisons tous mouvement vers une évidence placée derrière nos épaules.
Jeune adulte, mon père aurait pu se fixer à Paris, ne me donnant pas vie. Je serais quand même venu, ailleurs, autre, vraiment. Nous aimons monter sur scène, même dans le malheur.
Une image serait la bienvenue dans ce poème partiel ? Les fesses d’une cliente claquent à chaque déhanchement de ses talons. La nuit a des vérités de rimmel étalé. Place Clichy l’ombre n’existe plus, prise d’agitation à toute heure du jour ou de la nuit.
Ce poème, s’il fut, arrive à son cul-de-sac, vidé de sa veine. Tour à tour nous fûmes des reflets et des glaces se renvoyant un écho. Un lepton a posé son épaule du côté de la matière , rendant l’univers possible, nous faisant écrivant.
Oui
droite je me tiens, face, détachée sur fond blanc, visage saillant, géographie
et continents du visage avançant au premier plan tandis qu’une autre, assise en
pantalon blanc sur bottes noires à hauts talons sous sa longue taille, laisse
apparaître une portion nue de son mollet sous le tissu. Un drap blanc, un
regard, un style, une rencontre entre regardeur et regardés.
Distant
je me tiens des mots poèmes depuis quelques temps. Allongé droit. Distant des
effets. Distant de la peau. Sous un regard bleu. Je me tiens, droit, distant.
J’ai un regard portant loin. Chaque degré sur 360 est une direction où
potentiellement je pourrais m’engager. Je tourne d’un ou plusieurs degrés, fixe
de signe, Verseau. Droit je me tiens sans fond blanc ni regardeur stylisant mon
visage continent. Fixe je regarde, proche, la matière humaine, inépuisable, où
le regardeur est un mouvement fait toujours.
À Danielle et Clément