Drôle
de période, qui n’est pas une drôle de guerre, faut pas exagérer non plus, plus
un lent ravage profond, souvent appelé angoisse, mais j’aurais pu écrire,
puisque c’est mon métier, doute, expectative, attente, questionnement,
tourment, interrogation, incompréhension, ressassement, quelque chose qui tient
de la malaxeuse de guimauve, vous voyez, ce drôle (décidément) d’instrument sur
lequel le guimauvier place la pâte étirable et la déforme, la reprend, l’étire,
jusqu’à lui donner une forme et une rigidité comestibles, mais ici je cherche le
sens de cette drôle de période et je ne le trouve pas, pas même sûr qu’il y en
ait un, ou alors non, un non-sens, mais même cela pointe vers quelque part, et
ici pas de pointe ou alors intérieure, m’épinglant comme un papillon sous sa
vitre auquel on aurait retiré couleurs et visiteurs. Oui, drôle de période,
c’est l’été alors les clients avant de partir à Amorgos, Delos ou
Jehmebienvoskados m’ont chargé de rédiger leurs brochures de rentrée. J’y
apprends toujours plein de choses, sur la sécurité, la vente à distance, le
géomarketing. Je contribue très directement à une maturation du genre humain
sur ces enjeux qui sont autant de maillons vers la quête de progrès. Je fais
l’ironique et je n’ai pas le cœur à cela. J’ai le cœur à la disparue, la
devenue sans voix autre que celle que je ne connais que trop depuis des jours,
celle de son répondeur où elle semble si distante. J’ai dû rencontrer une
variation, entre l’humain et l’évanescent, un corps et un esprit glissant de sable.
Je ne devrais pas m’épancher sur mon petit cœur en peine, à part moi et 57 proches,
qui cela peut bien intéresser ? D’autant que je suis devenu mon patron
maintenant, et que je me regarde dédoublé, l’un angoissé, l’autre rappelant le
premier à l’ordre (tu as des documents clients à rédiger, oui, c’est le week-end,
et alors, t’as quasiment rien été foutu d’écrire cette semaine avec ton vague à
l’âme mon pauvre doudou, tu comptes t’y mettre un de ces quatre, tu crois que
ça va se faire tout seul ?), il y a un troisième, le supérieur, qui
recolle ces deux lui, ces deux moi, et n’en fait qu’un pas tout à fait réuni,
pas encore morcelé, un Caïn-caha cherchant à belle. Foutue période dont le
terme n’est pas fixé, flottant, possiblement lundi, sinon la brèche s’agrandira
et cela je n’en veux plus, je l’aie connu ces dernières années, j’ai eu ma
dose, vous comprenez ? Oui ou non, moi je me comprends en tous cas, au
moins sur ce point, j’ai dégusté, la dose limite a été dépassée, et tous les
autres moi qui me traversent m’empêcheront de replonger dans ce barnum qui sape
avec ce goût diffus de violette qui sur le moment fait croire que le bonheur
avec elle est encore possible mais non quand les châssis ne coïncident pas faut
pas insister les mecs, foi de gars qui n’a jamais fait une vidange de sa vie
mais qui sait quand même ouvrir le capot de sa bagnole parce que j’ai beau
être, enfin beau, c’est de trop, j’ai charme être disons, sensible, hyper
sensible par moments, sensible à vif parfois, j’en reste pas moins mec au point
que trop hétéro dans l’allure et la sape m’a dit cette amie quand de retour
d’une mission client dans une Mecque de la drague homo je lui rapportais que pas
un de ces minets effilés ne m’avait zieuté et je m’étais donc dit in petto que c’était ni « j’ai beau »
ni « j’ai charme » mais désormais « j’ai ni ni peau de chien »,
rien zéro pointé de capacité à attirer le regard dragueur ou bienveillant de
mecs ou de nanas mais non mon chéri voulut me rassurer l’amie déjà citée à
comparaître pour ma défense t’es un chou mais tu fais pas pédé c’est tout voulant
rassurer le moi du moment qui était à l’ego. Je suis là à écrire ces bouts de
phrase pour divertir mes pensées et ça fonctionne quelques minutes je me laisse
prendre au truc de faire du style lequel j’en sais rien mais un style qui me
prenne la tête non pas qu’il m’emmerde mais qu’il la focalise cette tête qui
sinon descend dans le cœur avec ses pensées ses questions et son tourment
revenus : « Que dit la Reine du
silence ? ».