« Je t’aime ». Quand Isabelle prononçait
ces mots à son amant, au moment le plus libérateur de l’amour, ce n’était pas
l’habituel engagement à l’éternité. C’était un sentiment aussi ramassé qu’une
étoile en formation, avec une densité non pas liée à l’espace mais au temps. Elle
l’aimait ici et maintenant, là tout de suite, en évidence, et cela devait
sortir d’elle, et atteindre Jean par l’ouïe en plus des signes évidents
adressés par le corps d’Isabelle. Pourquoi lui dire à lui plutôt qu’à un de ses
précédents amants ? Depuis le temps qu’elle vivait sans
« aimer », pourquoi Jean faisait sortir d’elle, naturellement, ces
mots chargés de tous les sens possibles : « Je t’aime » ?
Il y avait lui d’abord : elle savait qu’il pouvait entendre cela sans
attendre autre chose, simplement recevoir cette offrande entièrement vraie,
entièrement limitée à ce moment précis. Il y avait aussi la réaction qu’il
provoquait en elle ; donc, une double bonne raison, évidente et
indescriptible.
La
jouissance entre eux n’était qu’une station. Après, ils continuaient de se
caresser, d’être tendres, respectivement maternant et paternant, amants
fraternels qui se parlaient des différentes vies contenues dans une vie, se
taquinaient, s’endormaient à la juste distance, ni enlacés dans la dépendance
de l’autre, ni éloignés dans l’indifférence à l’autre, joints par le mince
filet d’air qui pouvait circuler entre leurs corps et les laisser respirer. Avant
la jouissance, il y avait tout cela et des sorties en ville, en bord de mer,
des nouvelles échangées par intermittence puisque dans leur relation il n’y
avait pas d’injonction à se manifester au quotidien. Chacun vivait sa vie,
chacun savait l’autre extérieur et proche.
Avait-elle
seulement songé qu’un jour Jean la rejoigne dans un café et qu’au moment où
elle voudrait l’embrasser sur la bouche il stopperait son mouvement, avec la
même délicatesse qu’il eut pendant des mois pour caresser son corps ?
Presque, elle espérait ce jour. Cela signifierait que de l’amitié entre amants
il était passé à un autre stade, avec une autre femme, celle-ci lui donnant ce
qu’ils ne pouvaient s’offrir avec Isabelle, l’amour majeur. L’alternative
existait. Qu’elle rencontre un homme qui lui fasse atteindre le centre d’un
triangle parfait formé par elle, lui et leur relation. Mais elle n’y pensait
pas. Imaginer Jean aimé et aimant, c’était sa façon de l’aimer, sans limite de
temps. Même si ce nouvel amour l’éloignait d’elle, définitivement, elle n’y
perdrait rien ; resterait toujours la douce connivence qu’ils avaient
tissée entre eux par leurs paroles, leurs gestes, leurs attentions, leur
respect. En restant frères d’âmes et de corps, ils s’étaient dispensés de ce
que charrie un mal amour : jalousie, dépendance, sacrifice, jours mornes.
Jean
arrive en avance, surpris de trouver Isabelle déjà attablée. Il a un pincement
au cœur à surprendre l’expression grave de son visage. Il n’est pas habitué à
cela, il l’a toujours vue comme une lumière. « Tu as une mauvaise nouvelle à m’annoncer ?...
- Non, pas du tout, pourquoi tu me demandes
cela ? Et puis bonjour d’abord, dit-elle en se levant pour l’embrasser à pleine
bouche.
- Excuse-moi, j’ai eu un mauvais
pressentiment, tu semblais toute renfermée.
- Je pensais simplement qu’un jour je te perdrai
comme amant, mais que je te garderai toujours comme le frère que tu m’es devenu ».
Sa femme n’allait pas tarder. Est-ce le hasard de se retrouver dans ce café dix ans après qui fit se remémorer à Jean les mots de son ex-amie et amante ? Cela restait la plus belle déclaration d’amour qu’il ait jamais reçue.
Jolie histoire... c'est la magie du moment.
Peut être qu'Isabelle a decouvert un "secret" qui va bien au delà de cet instant, de cette "déclaration".
je vais juste rebondir sur de courts extraits :
"Depuis le temps qu’elle vivait sans « aimer »... "
Au contraire, peut être qu'Isabelle est tellement comblée d'Amour qu'"elle a rencontré un homme qui lui fasse atteindre le centre d’un triangle parfait formé par elle, lui et leur relation "... que le triangle est déjà existant permettant la naissance de ces instants ?
Rédigé par : Lea Kervalet | 19/07/2008 à 19:28
Voilà comme il conviendrait d'entendre "je t'aime",dans son instant..Pas au delà..Ces mots n'ont rien d'éternel..Les promesses d'éternité,il faudrait les laisser à Dieu..Et peut être le dire plus souvent,du coup..Joli moment de lecture,merci..
Rédigé par : hermana sin espina | 17/07/2008 à 15:34