C’est
en père que Dorian marche dans cette cathédrale qui, ce soir, n’en est plus
vraiment une puisque le culte de la musique a momentanément supplanté celui des
plaies et des guérisons. C’est en père qu’il fut avant la mort de son fils, son
unique enfant, Dorian. L’avoir ainsi baptisé de son propre prénom avait ajouté
à la mort qui creuse en soi lorsque l’on perd un enfant. Une sorte de double
infortune, de double peine, de deuil impossible. Dorian ne s’attardait pas à
écouter le concerto formé d’un piano et d’un violoncelle ; il déambulait
entre les absides, les collatéraux et la nef. Il suivait la musique à distance,
à moins que ce ne fût l’inverse, elle le rattrapant où qu’il allât dans ce
vaste espace clos. Il ne cherchait pas à identifier qui que ce soit dans
l’assemblée des visiteurs et des auditeurs.
Sa
marche était sans métaphore. On n’en fait plus quand on a dû faire face à la
mort de son enfant. Le mur de l’entendement qui est alors franchi détruit les
tympans et fait perdre l’équilibre de l’oreille interne. Dorian était encore
assourdi, des années après. Il ne pensait pas aux rituels qu’il aurait pu vivre
ici avec son fils : son baptême, sa communion, une visite de classe, son
mariage éventuellement. Dorian est mort trop tôt, il y a trop longtemps. De
quoi ? Il ne le sait pas, ne l’a jamais su. Disparu, il fut présumé mort.
Depuis sept ans, nul signe de vie ou indice. Une trappe soudainement ouverte
qui emporta son fils, son couple et sa vie. Dorian et Lucie pouvaient-ils survivre
à ce coup de foudre noir ? À l’antithèse du bonheur qu’ils s’étaient
imaginé, qu’ils avaient forgé au fil de treize années d’une relation
entière ? Ni lui ni elle n’y étaient parvenus. Il s’était dit que cette
impossibilité commune avait mieux valu. Que serait-il advenu si l’un des deux
avait pu dépasser l’invivable et avait proposé à l’autre de continuer voire,
comme dans toute tentative humaine de nier la mort, de refaire un enfant, un remplaçant qui n’aurait pas dit son nom
mais aurait porté ce statut impossible dès sa conception.
La
musique alternait : concerto classique de piano, hommage à un jazzman
décédé formé d’une partition pour piano forte et violoncelle. Ses pas amenèrent
Dorian à contempler les quelques vitraux restés intacts après les bombardements
de la seconde guerre mondiale. Des cours qu’il avait suivis en licence d’histoire
de l’art sur le sujet il ne lui restait que quelques termes (barlotières) et symboles (l’Arbre de
Jessée qui s’élève de la racine des rois prophètes vers la cime du Christ
enfant). Ce bleu infini, métaphysique, la plongée dans l’esprit qu’il engendre,
cela restait en lui à chaque contemplation, ici, à Reims, à Chartres ou à
Beauvais.
Dorian n’était pas le seul disparu. Nul ne savait où vivait Lucie et si elle vivait encore. Parfois on explique son retrait de la vie par quelques lignes destinées aux proches. Pas elle. Disparue sans coup férir, à la façon d’une artiste illusionniste. Dorian se dit qu’il pourrait la croiser au supermarché, devant l’ancienne école de leur fils ou ici, ce soir, dans cette cathédrale transformée en auditorium profane. Sans rien lui dire, il s’approcherait d’elle lentement, la prendrait dans ses bras et la serrerait plusieurs minutes qui vaudraient plusieurs vies. Ils possédaient, sans l’avoir voulu, la même création devenue la même déchirure. Qui d’autres qu’eux pourraient dans un tel moment silencieux partager ce qu’ils n’ont pas même à se dire ? Après cette lente, longue étreinte de deux âmes amputées, il la laisserait retourner à la vie d’ombre qu’elle s’était choisie. Il ne chercherait pas à savoir ni à comprendre. Lucie avait agi au mieux de ses forces. Et lui, ce soir, dans la cathédrale encore emplie de spectateurs, il avait repris lien avec elle, le temps de cette accolade fantomatique.
le roman, pourquoi pas ? mais alors d'une vie... ;-)
Rédigé par : Loyan | 17/07/2008 à 18:06
Depuis quelques textes tu as su selon moi réellement grandir dans tes écrits. Pour moi tes écrits sont maintenant plus appropriés à tout un chacun. De tes textes récents, j'ai ce sentiment d'une évolution vers un autre style littéraire. A quand le roman?
Rédigé par : patricia | 17/07/2008 à 13:30