poésie ~ photo ~ écrits ~ éditions d'Aldébaran ~ passeurs

                                                                 

	3. Je crois encore au juste emboitement des faits.   Je ne me résigne pas à parler plat, mais je délaisse la forme obscure.
2. Il m’a fallu renoncer à elle et maintenant à   l’alliance sainte du jaune et du bleu.		4. Je pense au mot « entre ». Il me dit de   pénétrer en confiance dans l’ouverture qui se fait. Il m’évoque une cache.   Avec un v accolé, un conduit porteur d’aliments et de vie.
	1. Un soleil a été aperçu là-bas au sud. Savent-ils   ce que c’est de passer un mois privé du ciel ?
6. Il m’a fallu renoncer à toi. Hier soir,   j’évoquais ma totale incertitude affective.		7. Entre ce que je projette et ce qui   m’arrive : où est la voie juste ?
	5. Je ne fais plus d’images, temporairement.
	8. On peut se révolter contre ce manque d’évidence   de la vie. Ou l’aimer. Ou l’admirer.
	9. J’ai en ce moment la croyance (ingénue ?)   qu’être admiraimé par une jeune femme me pacifiera.
	30 mars 2008

                                                                       

Un rapport de bleus.
	Quelles couleurs n’a-t-il pas encore   utilisées ? Bleu de Prusse, jaune de cadmium ou de Naples, vert Véronèse   ou bouteille, terre de Sienne, sang de bœuf ?
		Il y a dix ans, mariés, ils découvraient Venise la   sérénissime. Divorcés, il lui souhaite, pour ses 35 ans, la sérénité.
	Ne pas être mathématicien n’empêche pas de chercher   des formes. Être poète y oblige, même si le droit de désobéissance reste   premier.
32 blanches et 32 noires donneront-elles   un sens quand quelques cases seulement seront utilisées ici ?
	Sait-elle ce qu’il attend d’elle alors qu’ils ne se   sont pas encore rencontrés ?
		Je ne sais faire l’amour qu’avec douceur, cette même   douceur qui me manque parfois quand j’aime.
	Par la peau caressée, je reçois les signes de   relâchement attendus.
		Je sens ouvertement qu’on se livre à mes mains.
	Comment avoir peur d’un abandon qu’on   provoque ?
Mais quand elle se reprend, à l’extérieur, que   puis-je ?
	26 mars 2008

 

                                                                       

	je ne suis pas encore   poussière
	le poème tente d’ajouter de   la matière au monde
	ici se trouverait le point   d’ancrage
je ne suis ni fixe ni fixé	¢	je ne suis pas   en croix
	le poème s’est formé en   marchant dans la ville coupé d’elle par la musique les yeux ne fixant que des   lignes et des paysages sans visage
	herse ce beau mot devenu   inutile avec lequel j’aimerais racler l’épaisseur du réseau
	il est temps ce printemps de   se dépouiller des formes   anciennes
	et si la rage s’extirpait enfin ?   à voir des proches s’élever amoureuses
	25 mars 2008

 

Avec la simplicité, l’évidence est son autre inaccessible. Quelles sont ses attaches dans la vie ? Si on l’observe – une le fit, avec clairvoyance -, on le voit appliquer son esprit d’enfant interrogateur à ce qu’il vit comme à ce qu’il refuse, comme si en une existence il avait l’ambition de toutes les vivre, femme et homme mêlées jusqu’au tassement des vertèbres. Il descend le long du fleuve alors qu’il neige à Londres et sur l’Etna (le climat est plus qu’une donnée naturelle, c’est une feutrine qui capitonne les pensées). Descendre donne une direction, au moins temporaire.

Telle est la beauté limite de la vie. Tout est livré en vrac, envisageable. Et ce que l’être détruit, il peut toujours le réparer en pensée, en appréciant le silence.

Il descend le long du fleuve de nuit sans sortir de son lit. Quelqu’un l’attend dans son esprit. Trois grains de beauté sont inscrits en triangle sur son avant-bras droit. Un signe de reconnaissance est-il possible avec l’espérée cent visages ?

Tout est livré en vrac. Si une voix pouvait indiquer celle qui a le plus de sens pour demain, celle qui recréera une période où les mots, se passant d’eux-mêmes pour faire place nette à la réalité, se poseront à nu sans en avoir conscience, comme les pins, la dune, l’île et la baie se posent en évidence l’une contre l’autre. Une femme peut-elle un jour le regarder avec la même admiration confiante qu’ont ses enfants envers lui ? Lui renverrait-il ce regard d’homme enfant semblable à la transparence bleue de la ville après l’orage ?

 

25 mars 2008

Retour de la cité d'Ango

Hier soir, j'ai eu le plaisir de partager avec Alexis Pelletier, l'affiche d'un nouvel Apéro poétique, à la Maison de la poésie de Haute-Normandie, à Dieppe. Arrivé avec une de mes filles sous des rafales de vent et de pluie glacés, quelques minutes plus tard, nous entamons une lecture à deux voix, alternant nos propres textes avec ceux de notre alter ego du soir.

Un auditoire attentif, des bruits de pétrolette passant dans la rue (avec des pots italiens, dixit l'expert en motocyclettes et maître queux Erick Morel), on se sent si humain dans de tels moments de lien.

Nous finîmes, comme le veut le rituel dieppois,à Neuville-lès-Dieppe, sur les hauts cinglants mais chaleureux, à se régaler de Saint Jacques à la crème et d'un steack (de viande bretonne ? osa quémander l'imprétrant Riquiqui Sifredo) déglacé au cognac par les soins de maître Morel.

23 mars 2008

Tantôt opaque, je me vois comme un tube de verre ouvert aux extrémités, tantôt transparent, dont les propriétés varient selon qui le regardent ou le manipulent, et par lequel passent, dans les deux sens, des courants venant d’une proximité ou d’une distance sans âge défini ; sa matière rayée n’est pas encore cassée, ni transmissible par la silice ; elle me fait chercher le diamètre exact auquel l’accoler ; par cette jonction espérée nos courants s’amplifieraient à la fréquence la plus élevée qui soit sans renoncer aux sons ni aux couleurs ; ce tube existe déjà ; il se trouve par l’espace et non le temps.

   

20 mars 2008

Voilà dix ans nous découvrions le rêve d’eau dont on a fait Venise. Cinq ans après je te quittais, première d’une série. Dans cinq ans je serais en voyage ; dans dix ans père d’un fils ; entre, je passerai de neutrino au noyau d’une exo planète. Une sonde partie de ma pensée cherche une limite à ce qui n’en a pas, par la résolution du temps retourné à son goût orangé. Des jours se succédant sans soleil m’ont fait sentir cette dimension non-mathématique.

   

18 mars 2008

Il me faudrait écrire un rituel qui me laverait définitivement de ces images que je projette acides sous ma surface si différente de ce qui en est perçu et par ce rituel qu’il me faudrait trouver seraient faite table rase au présent. Est-il ici ce soir, dans cette lampe de chevet, ces échos de voisinage anonyme, ce rejet temporaire des liens humains, ces signes tracés en bleu sur fond ivoire, dans l’incompréhension, la volonté de bien faire, l’attente de la disparition ? Ce rituel parlerait d’une personne à une autre : la même. Il apprendrait à aimer rester seul sur la durée. Après tout. En pensant cela je crée mon hérésie mais je vous veux si peu fendues. Un chien s’étant senti agressé est prêt à se fondre dans l’absence des cartes. Ce chien à dresser en moi. Je le lâcherais presque vers un territoire hostile. Si ma main s’ouvre, le rituel cessera, je retournerai à une condition sauvage où la peur sera remplacée par la survie.

 

« Even the stars look brighter tonight,

Nothing’s impossible.

I still believe in love at first sight,

Nothing’s impossible »

 

Ce matin, je ne suis plus qu’en partie celui qui écrivit ces lignes.

Je peux le redevenir.

    

17 mars 2008

C’est étonnant, cette persistance de blessures. Une évocation suffit parfois à transformer l’empreinte en plaie. Nous marchions exposés à la pluie et entourés d’un paysage d’automne en mars de collines détrempées de vert sans d’autres couleurs alentour que la disparition du ciel et de prés à la teinte de paille défraichie. Nous marchions après une veille attisée de bois calcinés rouges ; après une traversée par ce village marqué de la figure d’Emma Bovary puisque son inspiratrice est enterrée au bord de cette église au porche si finement sculpté, sa tombe précédant de quelques dizaines de mètres une autre porteuse d’une tout autre émotion pour toi – Charlotte D., 1994 ~ 2004. Quelques taches d’une mousse verdie délavée sont posées sur le marbre. « Il faudrait que je vienne nettoyer… C’est la première fois qu’un homme m’accompagne ici ».

La marche se poursuit. On a le choix dans nos vies, entre stagner de boue ou avancer vers une ligne de crête. Nous descendons par des chemins dérapants. Nous voilà longeant une rivière au nom mortifère. C’est là où ta simple évocation d’un fait finalement mineur de ta vie m’atteint. Il me renvoie sans que tu puisses le réaliser à une peur que j’ai laissé entrer en moi ces deux dernières années et dont je ne sais plus me débarrasser. Est-ce une peur ? Ou tout simplement une jalousie : avoir été absent de ces moments, de vos vies d’avant, de vos vies cachées, s’en sentir écarté, s’en trouver écartelé. 

Il ne tient qu’à moi de transformer ce point de vue. Je le sais. Je n’y parviens pas, pas totalement, pas tout le temps, tu l’as vu à mes paupières fermées lorsque nous étions rentrés chez toi, je l’ai senti au sel descendu de mes yeux vers mes lèvres, il m’arrive de trébucher sur une corde intérieure cachée sous je ne sais quoi (des feuilles en décomposition, une eau stagnante, des planches, de la terre) ; la vibration déclenchée me claque au visage, comme tes mots : « J’ai vécu la vraie douleur, flirté avec la mort ». Je ne cherche pas ce réveil de blessures réelles et symboliques. Il me prend aux tripes. Je me vis comme une équation à trois connus : questionnement, sensibilité, peur d'aimer.

La couleur a du mal à se raviver cette année. Je ne ressens pas encore sa vitalité à travers la végétation. Une perte de repère supplémentaire. Une façon de travailler l’écorce et la matière qui patiente en-dessous. J’aimerais résoudre une fois pour toute la question du passé. J’aimerais. Soyons patients, tu veux bien ?

Sur la route du retour m’accompagne cette musique : « I, saw, something in your eyes, I’m sure ».

 

16 mars 2008

Carlo Bordini nous lit de sa voix chuintée son poème Polvere (Sarò sempre un po’ meno di quello che sono…). Nous sommes à l’abri de la nuit dans une bâtisse ancienne du vieux Dieppe où les murs de brique vous offrent leur poussière crayeuse à trop les frôler. Nous sommes en demi-cercle. Nous faisons corps. En venant de Rouen toute Poussière avait été balayée de l’autoroute depuis des jours par les pluies qui se succédaient sans discontinuer.

J’étais réceptif. La musique électronique poussée à sa saturation maximale dans la voiture (volume à 40, son s’écroulant sur lui-même, enceintes prêtes à sortir du tableau de bord) m’avait préparé à la langue originale susurrée par le poète romain et à la traduction rythmique de son ami Olivier Favier. J’étais exposé à la lumière de la nuit faite d’un lien invisible entre des êtres qui ne s’étaient jamais rencontrés et se trouvent à partager une attention commune, traversant ensemble une vibration. Tu vois Saskia, le sentiment commence à percer. Autour de minuit, nous poursuivons l’échange chez Éric Sénécal, la dynamo de l’origine. Il passe tant de choses à travers le palais et la langue franco-italienne – ce sont de vraies agapes.

Sur la route je pensais à toi C. et à cet arrêt que nous fîmes sur une aire d’urgence aux premières minutes du nouvel an. Nous avions envie de nous embrasser puis de nous allonger et de deux bassins versants faire un. Sur la route je pensais à toi D. avec qui j’aimais tant faire l’amour à défaut de vivre sereinement. À ce point du texte je me mets à converser avec toi M. Je te dis que la poésie m’aide à digérer ma vie en lui donnant une trace et un sens possible. Tu m’interroges : « Le fait d’être lu compte en quoi ? ». Sans savoir qui lit, c’est une possibilité de toucher l’être. Une façon de parler et pas seulement de se parler, de quitter le secret intérieur pour aller vers une divulgation sans visée précise.

T. m’appelle. Vingt degrés et du soleil à Ajaccio. Tu quittes peu à peu ton désarroi suicidaire. L’entourage des amis ne compense pas la perte de la famille, mais aide à vivre. Je reçois un message de Cl. Sans commentaire, tu reprends les derniers mots de mon dernier poème mis en ligne (Tu n’es plus situable. Un vent viendrait amnésier tout cela. Lis. J’ai perdu ton prénom. Sors. Reste à mon écart.). Oui, parfois, on fait subir à la mauvaise personne le mauvais traitement que l’on a subi. J’essaye d’agir au mieux mais que veux-tu le sillage que créé chacun de nous dans sa vie comme tu peux le voir au bord des fleuves déclenche des ondes et celles que tu as reçues sur cette courte durée furent harmoniques puis coupées.

Coupées car j’avais besoin de vide autour et en moi. Coupées car j’ai mis un terme à cinq ans d’un mode de vie multiple pour tenter de réunir ce qui est épars. Coupées car j’ai envie de sentir l’ingénuité de l’amour à deux fois vingt ans. Coupées car ce soir je vais découvrir ton domaine intime, Ch., toi qui porte le Christ en L. De grillades au feu de cheminée, vin, mots, gestes et attentions, nous ferons une part de vie. Et comme Carlo Bordini dans sa vie, de la révolte à l’amour, nous tenterons de passer.

   

15 mars 2008

muse et homme

Dieppe / Roma

Posé, attentif, cet homme, comme le résume Eric Sénécal en introduction, est passé de la révolution trotskyste dans les années 1960 à la révolution de l'amour qu'il enseigne aujourd'hui à l'université de Rome.

Carlo Bordini a une façon chuintée de lire sa poésie. Celle-ci, dans les extraits présentés à Dieppe en ce 14 mars 2008, est d'une grande force simple. L'homme possède le sens de la rythmique, cela se sent, même en traduction. Il parle d'évidence, à la fois accessible et profond - sans doute la marque des grands...

Comme un Pierre Reverdy qui ne se serait pas retiré du monde, mais continuerait d'y partager émotions, "pious-pious" (merci au gargantuesque Erick Morel pour ses canapés amuse-gueules aux couleurs d'Italie), vins et vision du monde (merci à Eric Sénécal de nous avoir ouvert nuitamment sa maison pour y poursuivre les agapes).

Enfin, dernier mais non des moindres, merci au traducteur agent semeur d'italianité Oliver Favier, qui donne à lire des textes transalpins acclimatés à notre langue par ses soins.

Rabat | joie ?

On survit à la disparition de la parole. Il suffit de gagner l’île intérieure et d’y rester en silence un an à un an et demi. De là on ressortirait à neuf, ayant oublié l’idée de blessure, souriant d’avoir pu se mettre dans tant d’états pour un être qui vous a froidement aimé distant. J’apprendrai à vivre sans liens avec toi et sans terminaison franche. Cela laisse un blanc entre deux cellules. La transformation électri~chimique devait mais ne n’est plus produite. Vis avec maintenant. Invente-toi ces temps qui seront plus lointains à chaque nouvelle encoche à ton visage. D’avoir vidé la place laisse ton corps au repos. Moins de fentes où la vie cherchait à pénétrer. J’écoute et j’apprends, silencieux. De la pluie depuis une semaine, entreveinée d’éclaircies. Une science d’étoiles observées. Tu n’es plus situable. Un vent viendrait amnésier tout cela. Lis. J’ai perdu ton prénom. Sors. Reste à mon écart.

 * * * * * *

Ayant imaginé une fois au moins sa mort on ressent par procuration la force du manque laissé à ceux qui restent (on l’espère). C’est une mesure, difforme, de l’amour ; par retrait.

 

14 mars 2008

Sorti solo voir de la danse : « Frenesi », de Tino Fernandez. J’aime ce rapport direct aux corps, sans autre support que la musique pour atteindre l’esprit et les tripes. Entre quatre hommes et quatre femmes à la classique musculature longiligne, un nain, tout en force et reptations. Vision plus inhabituelle que la nudité, par moments, des autres danseurs et danseuses. Effet de foire ? Au début, j’en ai eu peur, et puis est né un autre sentiment, celui d’un effet de décalage. Cet homme était dans un autre rapport à la danse, non pas l’amplitude mais la force et la vitesse de déplacement. Cette vitesse qui a déplacé mon point de vue. J’aime ce moment où l’on perd ses repères. Je garde aussi en mémoire le ballet mené, à distance et en symétrie, par deux des danseurs, huilés, nus, utilisant l’inox de leur table de dissection pour faire saillir leur musculature par rotations, passant de l’allongement à la droiture, de la contraction au pendage par-dessus bord d’un bras, d’une jambe. Avant de rentrer chez moi, je digérai tout cela dans un kebab.

   

8 mars 2008

jointure

Les hommes et femmes frottés en défilé au long de trois années d’un sommeil de tête pouvaient-ils recevoir de toi autre chose que ton corps emblème féminin ? Savais-tu qu’un enfant symbolique naîtrait de la mort de ton enfant réel ? J’ai la double vision de toi. La petite fille et l’incendiaire qui creuse des regards sur son passage. La première se révèle depuis sa profondeur. Son image se dépose persistante à la surface de la seconde. Et c’est toute ta beauté. Et c’est toute mon émotion. La jonction naît quand la vie ou un autre principe le décide. Pourquoi maintenant et pas l’an dernier ? Pourquoi ce motif du serpent cancer enlacé au ciel ? La sensibilité te redonne la vie entière. Des connexions surgissent, créent un arc électrique, te faisant mal ou vibrer, mais sans regret pour le tourbillon à vide laissé derrière toi. Tout est à faire. À un. À deux. En relation

    

5 mars 2008

"marcher ensemble, sauter ensemble, c'est parfait"

Défi d'enfant

« - Monsieur, pourquoi tu n’écrirais pas une poésie pour les enfants ?

- Et bien, pourquoi pas, je vais essayer… »

Entrez, entrez,

dans mon immense petit royaume

les mots sont les rois

tantôt, ils font manger du miel aux chats

tantôt, ils inventent un vent joyeux

toujours, ils ont le sourire aux lèvres

et parlent de la vie

dans mon immense petit royaume

les tableaux d’enfant ont des têtes colorées

et des gestes doux comme le désert

ils sont vivants

ils me regardent et me disent à l’oreille

que vous inventez la plus belle des vies

celle qui accroche le paradis sur terre

plein d’idées plein de cris plein d’envies plein de joie

entrez, entrez,

dans mon immense petit royaume

vous êtes les reines, les rois

les inventeurs de toutes les formes

ne sortez pas, ne sortez pas trop tôt

vers la vie des grands

qui souvent ont oublié

de donner du miel aux chats

et d’écouter le vent joyeux.

 

Aux enfants de l’école d’Hattenville (pays de Caux, Normandie).

5 mars 2008

Veni, vidi, Vincelli

Suite du Printemps des poètes 2008 , à Fécamp, dans le cadre néo-renaissance de la villa Vincelli, aux abords de la célèbre bénédictine (poésie et spiritueux seraient-ils condamnés à voisiner ?...).

Devant un parterre (assis) de 80 personnes, nous lisons avec Eric Sénécal (poète, éditeur et "dynamo" du Printemps des poètes en Haute-Normandie),  des poèmes d'Isabelle Guigou, Eric Ferrari, Roland Nadaus, Carlo Bordini, Salah al Hamdani, Claude Vercey... qui tous interviendront dans la région.

Entre deux choeurs, la soirée fait entendre des poètes dans la musicalité de leur langue d'origine : le géorgien, le hongrois, le néerlandais, l'arabe, le roumain, l'anglais, l'allemand. Textes dits, avec une justesse émouvante, par des personnes natives de ces pays, et vivant à Fécamp. Vive le brassage par les ports et plus encore, par les pores, car la poésie se ressentait ce soir-là à même la peau.

4 mars 2008

Ménara

de la perception

Jzirat el Maghreb / VII

5^ème jour

Percuté. Empli. Cinq jours qui valent cinq semaines. Ce condensé me met dans l’attente du retour rapide au pays. L’eau agitée demande un verre où se déposer. Le dessous de mes yeux porte les mille cinq cents kilomètres de route et les marches du matin au soir dans les médinas.

Je tente d’en faire un poème, sans succès.

Le lendemain, réveil à cinq heures et demie du matin, par l’appel du muezzin. Valise faite, derniers kilomètres en Logan, vers l’aéroport, son levant à contre-jour des palmiers, son futur hall encore en travaux, et ses heures d’attente.

B’slama, Ma Rock.

 

22 février 2008

Jzirat el Maghreb / VI

4^ème jour

Comme un air de Bretagne à Essaouira, la douceur de l’air en plus. Remparts, skala (citadelle), odeur de sardines éventrées, grande plage en forme de conche. Après ces villes aux millions d’habitants, la tranquillité de ce lieu me fait du bien. Le soleil perce quasiment sous le gris diffus.

L’arrivée depuis Marrakech, après une ligne droite monotone de cent kilomètres, s’anime vers la fin, par des collines striées d’arganiers. Première grande place, à l’entrée de la ville : émoliée par l’air du large en comparaison de Jemaa el Fna. Je pense à Rochefort ou à Brouage sous l’influence de l’air salin et des façades blanches.

Un jour, j’irai à Tanger. Il faut bien se garder quelques mythes à apprivoiser. En attendant, Essaouira m’offre ce que j’attendais de la ville blanche. La sérénité, le plaisir de dédaler entre les souks de la médina. Pas moins de treize mosquées et quatorze zaouias à l’abri des murailles de pisée. Du ryad où j’écris ce soir tout est décrochements. Vers ma mezzanine montent les voix de la rue. Massage berbère puis barbier, je me suis fait choyer (j’avais à l’esprit l’image de mon père se faisant raser à Almería. Trente ans après, j’accède à ce privilège modique). Le midi, déjeuner d’une assiette de friture. Le soir, dîner d’une soupe et deux galettes de pommes de terre. Pour qui n’est pas rebuté par l’état des gargotes, on se restaure presque à l’œil dans ce pays.

   

21 février 2008

Bruits mouvements étals d’une terrasse au soleil annonciateur. Je repense à tes mots prononcés hier soir en pleine parade de noctambules, entre deux nappes de décibels continus : « Ta poésie exprime rarement des sentiments. Comme si tu en retirais l’élément humain. Je sais que tu es sensible, mais on sent toujours la maîtrise dans tes textes ». Touché. Je lui parle de cette boucle qui me fait partir et revenir à moi, cherchant à comprendre ma trame, sans cesse. De ce « mythe » que je tentai d’écrire à 17 ans – la non odyssée d’un homme seul dans l’espace. De mon envie, une fois toutes les x années, de sortir danser pour mieux me sentir seul entouré de cibles et d’arcs bandés – cette nuit j’ai cédé à ce rituel où durant des minutes je ne regarde que le sol et mon ombre portée sur la piste passée à la découpe des stroboscopes. Peut-être que par l’écrit je ne sais pas faire de sentiment. Que je reste fiché dans mon cortex frontal sans parvenir à descendre vers la fraîcheur limbique. Ce texte en témoignant encore.

Et puis non. Hier soir j’ai été amical, taquin, observateur, attiré, discret, ému, parlant, attentif, fatigué, dansant.

Humain et en mouvement. En vie

   

1^er mars 2008